Vous aussi, proposez vos plans qui font la différence ! N'hésitez pas à faire une ou plusieurs captures d'écrans et composez un petit texte à votre sauce… puis envoyez le tout à O'Brian@neuf.fr.
LE film sélectionné aujourd’hui parle de dédoublement de personnalité. Un personnage naturellement trop gentil et abusé de tous, finit par péter un plomb et se crée, sans le vouloir, un alter ego hardcore capable de remettre les pendules à l’heure. Contrairement à Sir Alfred, qui utilisait la Psychose pour concevoir un film flippant, celui-ci surfe de l’autre côté de la même vague pour créer un film poilant.
Je veux évidement parler de :
Me, Myself & Irene (ou Fous d’Irène dans la langue d’Elie Semoun) est une comédie datant de 2000, réalisé par Bobby et Peter Farrelly sur un scénario de Bobby et Peter Farrelly et Mike Cerrone et avec Jim Carrey et Renée Zellweger.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce film, voici un lien vers sa fiche IMDB : Me, Myself & Irene (IMDB)
Le film le plus connu et apprécié des frères Farelly semble être Mary à tout prix (There's Something About Mary - 1998) mais, même si ce vaudeville comporte plein de bonnes idées, je préfère largement Me, Myself & Irene. Cette histoire de double personnalité comporte un haut degré cathartique grâce au personnage de Hank, alter ego totalement débridé et politiquement incorrect, traversant le récit en enchaînant les actes aussi extrêmes que jouissifs.
L’énergie débordante de Jim Carrey est parfaitement employée par les réalisateurs (ce qui est loin d’être toujours le cas) et sa prestation mérite une bonne place au panthéon des performances comiques cinématographiques.
Mais ce n’est pas le sujet de cet article…
Le plan faisant la différence sélectionné ici n’existe étonnement pas vraiment au montage. Il joue avec l’imagination des spectateurs et s’amuse à lui montrer quelque chose qui n’est pas réellement filmé grâce au phénomène d’association d’idées.
Association d’idées ? Kézako ?
Lorsque l’on présente deux images successives à l’œil humain, notre imagination se saisit de ces deux images distinctes pour les transformer en une idée unique. Notre expérience personnelle nous apprend (ou non) que quelque chose se trouve entre ces deux images.
En réalité, notre cerveau cherche toujours un lien logique entre deux images, que l’on ait ou non le bagage nécessaire pour trouver une relation est secondaire. Pour ce faire, il extrapole souvent… et va au plus simple.
Au cinéma, il est par exemple possible d’utiliser ce phénomène lors d’une ellipse.
Celle qui nous intéresse est visible à 21’50’’ du début de ce film. Voici le déroulé du passage en question :
Jim Carrey marche en direction de la pelouse de son voisin…
…déboutonne son pantalon devant ses yeux…
…baisse son froc et son slip…
…se met dans une position assez explicite…
…un gros plan sur le visage de Jim montre qu’il pousse…
…un étron marron glisse verticalement…
A noter : il existe une transition sonore entre Carrey continuant de pousser et ce nouveau plan.
Et là, tout le monde se dit “pouaahhhh, mais c’est dégueulasse !!”
Sauf que voilà, une ellipse a eu lieu entre les deux dernières images…
L’instant d’après, la caméra dévoile quelque chose de tout à fait différent…
Non mais où aviez-vous la tête ? Ce n’était qu’une innocente glace au chocolat voyons !
Malgré tout, l’association d’idées première reste plus forte et les frères continuent d’exploiter leur connerie en s’amusant avec le public…
…car lorsque le Ranger déguste la glace, les spectateurs continuent d’être dégoûtés !
Je me souviens encore de cet instant lorsque j’ai découvert le film en salle à sa sortie. L’effet fonctionne à plein régime ! Tellement que peu ont pigé le dialogue suivant dans l’action (alors autant le concevoir comme un dialogue sans importance), trop occupé à vomir rire.
Ce genre de procédé donne l’occasion aux spectateurs de faire travailler leur imagination. Celui-ci se rend compte, dans un deuxième temps, qu’il était actif et généralement, c’est un point particulièrement positif pour lui : on joue avec lui et il adore ça, le bougre !
L’humour est basé sur le fossé entre l’attente et le résultat ; entre l’image imaginée et l’image réelle. Plus l’écart est grand et plus le potentiel comique est important.
Petite note un peu plus technique pour expliquer le procédé d’une autre façon :
Ce plan présente un changement de "scène à scène" (contenu éloigné dans l’espace et le temps). Cependant, il est monté de sorte à nous faire croire à un changement de "sujet à sujet" (changement de focalisation à l’intérieur du même thème dans une même scène). En fait, nous croyons à un enchaînement de sujet à sujet mais il se révèle être un enchaînement de scène à scène. De la réussite de cette surprise dépend la réussite de l’effet.
Aussi différents soient-ils, les plans entretiennent toujours un rapport entre eux pour le spectateur. Comme en BD, une alchimie opère toujours entre deux plans et nous fera trouver un sens au rapprochement le plus discordant.
Quand le monteur fait suivre deux plans distincts, il dote leur liaison d’une indenté intrinsèque et force le spectateur à les considérer comme un ensemble. Aussi distinctes qu’elles aient pu être, elles constituent désormais un seul organisme.
L'enchaînement présenté ici s’amuse aussi avec plusieurs sens. Il n’est pas seulement logique et intellectuel. La déduction faite est même très basique. Outre la vue, il va faire appel à l’odorat et enfin au goût.
Le lecteur averti saura que certaines parties de cet article calquent un chapitre de l’excellent "L’art invisible" de Scott McCloud.
J’aimerais d’ailleurs rappeler à certains critiques que si la BD cultive l’art de l’ellipse de façon très large et « qu’il se passe beaucoup de choses entre les cases », c’est également le cas au cinéma ! Il suffit d’utiliser le mot "plan" au lieu de "case" dans la phrase. Fallait y penser…
Si en BD notre esprit rempli le caniveau (nom donné à l’espace souvent blanc situé entre deux cases), au cinéma, il le fait sans cet espace physique. Ce n’est pas parce que ce procédé est moins utilisé au cinéma qu’en BD et que la participation du spectateur est moins forte que celle du lecteur, qu’il n’existe pas !
La preuve ici avec cette petite comédie.
Le montage est un outil d’une puissance énorme, tout le monde vous le dira. Le principe d’association d’idée étant automatique chez l’humain à partir d’un certain âge, il est possible de s’amuser avec de temps à autres pour ajouter de nouvelles idées (souvent du registre de la comédie mais pas "que") basées sur "du vent".
Alors réfléchissez un peu en positionnant vos scènes ou séquences les unes après les autres, on ne sait jamais, vous pourriez ajouter du sens à votre œuvre.
Note importante : il est évidemment possible d’ajouter du sens sans s’en rendre compte si l’on ne réfléchit pas bien son montage… et ça, c’est souvent très mauvais genre.
Hey mister, bien vu le plan, bonne explication, toujours interressant.
RépondreSupprimer@+
Merci ma kich =^.^=
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