La Corde

Prise : 016
Film : La corde
Date : 07 janvier 2009
Auteur : bpfeuty

Vous aussi, proposez vos plans qui font la différence ! N'hésitez pas à faire une ou plusieurs captures d'écrans et composez un petit texte à votre sauce... puis envoyez le tout à .


CETTE semaine, je vais vous parler d'un plan tiré d'un film qui devait absolument être traité dans ce blog :

La Corde - affiche

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La Corde (ou Rope dans la langue de Shakespeare) est un thriller dramatique écrit par Arthur Laurents d'après la pièce de Patrick Hamilton et réalisé en 1948 par Alfred Hitchcock dirigeant pour l'occasion John Dall, Farley Granger et James Stewart dans les rôles principaux.

Tout le film se déroule à l'intérieur d'un appartement dans lequel deux amis d'enfance ont tué un homme juste pour savoir ce que ça fait d'ôter la vie à un être humain. Pour parfaire ce qu'ils considèrent comme leur œuvre, ils commirent le meurtre seulement quelques minutes avant une réception prévue de longue date à laquelle étaient conviés des proches de la victime. La Corde raconte les événements se déroulant lors de cette réception.

Pour ceux qui ne connaitraient pas ce film, voici un lien vers sa fiche IMDB : La Corde (IMDB)

Pour les mêmes personnes, je dois préciser que ce film est réputé pour être l'un des rares à montrer un seul et même plan-séquence et ce pendant toute la durée du film, c'est-à-dire 1h20.

Nous nous devions donc d'en parler sur ce blog car s'il y a bien un plan qui fait la différence, c'est celui-ci : sans lui, pas de film !

Mais sa réputation exhausse la réalité car ce drame hitchcockien n'est pas composé d'un seul et même plan.

En effet, La Corde date de 1948 et à cette époque, on filmait encore avec de la pellicule. La pellicule, c'est physique, ça prend de la place. Les bobines étaient donc limitées en longueur et permettaient de filmer environs 12 minutes chacune.

Par conséquent, Alfred Hitchcock n'a pas pu filmer son film en un seul et même plan pour ces simples raisons matérielles.

Mais le cinéma est l'art de l'illusion et même si l'on ne pouvait pas réaliser de plan de 80 minutes, on pouvait en donner l'impression. Il existe de nombreuses techniques pour lier entre eux deux plans distincts pour donner le sentiment d'une unité, surtout de nos jours, grâce à l'apport des ordinateurs.

Hitchcock n'a utilisé qu'une seule d'entre elles dans tout le film :

La Corde - Raccord avant

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Fin du premier plan (d'une durée totale : 9 minutes et 12 secondes)

La Corde - Raccord après

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Début du deuxième plan (d'une durée totale : 7 minutes et 30 secondes)

Comme on peut le voir, la veste d'un des personnages a été utilisée pour noircir un court instant la totalité de l'écran. C'est dans ce court instant que s'opère le trucage : lors du tournage, à la fin du premier plan, la caméra s'approche assez de la veste du personnage pour qu'elle remplisse tout l'écran. Pour le plan suivant, acteurs et caméra ont été placés aux mêmes endroits, en continuant le mouvement de la caméra débuté dans le plan précédent.

Au montage, ces deux plans sont liés grâce à la veste du personnage, faisant ainsi l'effet d'un seul et même plan.

Cette impression est d'autant plus accentuée qu'au moment de cette coupe, les dialogues continuent.

C'est cette technique qu'adoptera Hitchcock durant tout le film pour assembler deux plans entre eux. Mais Hitchcock est un gars plein d'imagination et il n'a pas utilisé que des vestes pour dissimuler les coupes. Il s'est également servi des éléments du décor :

La Corde - Raccord décor

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Voilà l'une des raisons expliquant que, malgré sa réputation, ce film comporte plusieurs plans.

En général, les personnes connaissant la particularité de ce film sont également conscientes qu'il était techniquement impossible de faire durer un plan 80 minutes sans avoir recours à des procédés de ce genre.

Ce qui est moins connu, c'est que même si l'on exclu les coupes cachées, ce film comporte en réalité cinq plans bien distincts (j'exclu volontairement le premier plan servant de générique). Ils durent entre 10 et 18 minutes environs et sont chacun composés de deux plans liés entre eux grâce à la technique exposée plus haut.

Par exemple, la première de ces coupes visibles survient au moment de l'arrivée de Janet, la fiancée du mort. L'un des deux meurtriers annonce à Kenneth, l'ex de Janet encore amoureux d'elle, que ses chances de la reconquérir sont peut-être plus grandes qu'il ne le croit. Ceci occupe la fin du deuxième plan du film :

La Corde - CUT avant

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Et c'est justement à ce moment qu'arrive Janet, comme on le voit dans le début de ce plan qui suit directement le précédent, sans raccord d'aucune sorte :

La Corde - CUT après

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On voit bien ici qu'il y a deux plans bien distincts se suivants directement. Et il en est de même à quatre reprises dans le film. Il fallait que cette vérité soit dite.

Quoi qu'il en soit, même s'ils durent moins de 20 minutes, il y a non pas un mais cinq plans-séquence dans La Corde, ce qui est très rare et impressionnant, encore aujourd'hui.

Mais une telle technique était-elle vraiment indispensable pour raconter ce film ?

Non. Et les plans-séquence sont rarement voire jamais indispensables comme technique de narration. Hitchcock lui-même considère ce film comme une expérience stupide car "il faut découper les films" ("Hitchcock/Truffaut" (édition définitive)). Il s'agit surtout d'un procédé le plus souvent virtuose et impressionnant qui représente un défi pour le réalisateur et son équipe et un effet de style bénéfique au film pour le cinéphile. Dans un tel plan, le seul moyen pour le réalisateur d'exposer son point de vue est le mouvement (ou l'absence de mouvement) de caméra, le forçant à s'exprimer dans un tout autre langage cinématographique que le découpage.

Il existe cependant plusieurs raisons permettant de justifier un ou plusieurs plans-séquence dans un film. La Corde, par exemple, est tiré d'une pièce de théâtre et le plan-séquence est également la technique cinématographique la plus théâtrale puisqu'elle montre une action dans sa continuité sans aucune coupe, comme on pourrait la voir sur les planches. De plus, à l'époque du tournage de ce film, les caméras étaient volumineuses et très lourdes (elles ne tenaient pas du tout dans un téléphone portable) ce qui imposait de tourner dans un décor reconstitué en studio et ne comportant que trois murs. Un quatrième mur aurait exclu toute possibilité d'installer la machinerie permettant de mouvoir la caméra, ainsi que les projecteurs (également très volumineux à l'époque) et l'équipe de techniciens faisant fonctionner tout ça. Un peu comme un décor de théâtre où un quatrième mur empêcherait les spectateurs de voir la pièce.

La Corde - Théâtre

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Evidemment, ces deux éléments limitent les mouvements de caméra dans La Corde.

Comme il n'y a pas (ou peu) de découpage, Hitchcock a du compenser par des mouvements de caméra afin de montrer l'action. Ces mouvements sont forcément limités par la lourdeur du matériel et par l'absence d'un quatrième mur.

Tout ceci donne le sentiment d'une caméra constamment en mouvement mais aux déplacements contraints. Elle s'accorde avec l'état d'esprit des deux meurtriers qui se sentent à la fois l'âme créative (représentée par les plans-séquence) mais éprouvent en même temps une impression d'étouffement due à la présence des autres invités qui pourraient éventuellement découvrir leur forfait. Et c'est là que réside toute l'excitation.

Malgré tout, il reste légitime de se poser la question : ce film est-il meilleur parce qu'il a été filmé en plans-séquence ?

Rien n'est moins sûr mais, selon moi, il aurait été certainement bien moins célèbre s'il avait été réalisé de manière plus "traditionnelle".

5 commentaires :

  1. Sur la forme de l'article, certaines images n'apparaissent pas et j'imagine que quand tu dis : "Mais sa réputation exhausse la réalité car ce drame hitchcockien..." tu penses plutôt à : "Mais sa réputation dépasse la réalité...".

    Sur le fond, c'est vrai qu'il y a quelque peu tromperie sur la marchandise.
    Vendu comme un plan séquence unique, "La corde" bénéficie de quelques artifices de montage que tu as d'ailleurs bien montrés.

    Cela dit, le film est - pour moi - avant tout un brillant exercice philosophique voire psychologique sur les tréfonds de l'âme humaine.

    Tuer pour le plaisir, prouver qu'on peut le faire jusque parce que c'est possible et se croire si malin qu'on ne se fera pas prendre.

    On oublie vite les prouesses d'Hitchcock pour se concentrer sur l'intrigue et le crime de départ ; avec un sentiment double : le plaisir d'assister à un crime parfait mêlé au désir que ces deux tueurs cyniques reçoivent une leçon.

    Voir le film pour la réponse ^-^

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  2. N'étant pas l'auteur de l'article, je réponds uniquement sur la question "technique" (et en plus je n'ai pas eu l'occasion de voir ce film depuis des lustres !) : chez moi, toutes les images apparaissent. Étrange donc...

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  3. @ O'Brian

    Ok je note ! C'est surement un problème perso ponctuel.

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  4. @ CJ

    Attention, il ne faut pas confondre "exhausser" et "exaucer". J'utilise le premier.

    Quant au film, personnellement je le trouve convenu et trop théâtral. Certes les dialogues développent bien le problème mais bon, ce ne sont que des dialogues...

    Et au final, ce que je retiens du film, c'est plus la forme que le fond.

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  5. Comment le rendre autrement que théâtral vu que tout dans ce film transpire le théâtre, depuis le choix de la réalisation jusqu'à l'adaptation d'une pièce ?
    Certes, convenu. Mais le film demeure un exercice de style splendide.

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