Sixième Sens (jump shot)

Prise : 019
Film : The Sixth sense
Date : 28 janvier 2009
Auteur : bpfeuty

Vous aussi, proposez vos plans qui font la différence ! N'hésitez pas à faire une ou plusieurs captures d'écrans et composez un petit texte à votre sauce... puis envoyez le tout à .


CETTE semaine, je vais vous parler d'un plan tiré d'un film ayant surpris une grande partie du très nombreux public qui est allé le voir. Il s'agit de :

The Sixth sense - affiche

Sixième Sens (ou The Sixth Sense dans la langue d'Allison DuBois) est un drame fantastique écrit et réalisé par le prometteur mais trop souvent décevant M. Night Shyamalan en 1999 avec Bruce Willis et Haley Joel Osment.

Pour ceux qui ne connaitraient pas ce film, voici un lien vers sa fiche IMDB : Sixième Sens (IMDB)

M. Night Shyamalan fait des films d'auteur, au sens le plus orthodoxe du terme. En effet, il écrit et réalise seul chacun de ses métrages et en assume tous les choix artistiques jusqu'au bout. Pour autant, ses films ne sont pas élitistes et ont toujours su attirer un nombre de spectateurs relativement conséquent.

C'est un réalisateur ayant un style facile à reconnaître : il utilise une intrigue fantastique comme canevas pour (dé)tisser les liens entre des personnages souvent complexes et profonds. Dans le club fermé des "réalisateurs qui donnent toujours envie de voir leurs films malgré de nombreuses déceptions", il est l'opposé exact de Michael Bay qui privilégie plutôt le spectaculaire et l'action là où Shyamalan préfère installer avant tout des personnages et une intrigue souvent intimiste mais universelle.

M. Night Shyamalan peut même être un excellent scénariste et réalisateur, quand il est inspiré.

Et c'était le cas lorsqu'il a écrit et réalisé Sixième Sens.

Sixième Sens est principalement un drame mais sur une trame de film d'épouvante, avec des fantômes malmenant une petite victime esseulée et fragile à laquelle on peut s'identifier facilement. Et même si le drame et les personnages occupent le centre du film, M. Night Shyamalan a tenu a respecter la plupart des codes du genre investit. Et l'un des éléments incontournable dans un film de fantômes, c'est le Jump Shot.

Il y a dans ce film plusieurs plans qui font sursauter. Je vais ici m'intéresser à un seul d'entre d'eux, à mon avis le plus intéressant du film.

Attention ! Pour ce faire, je vais devoir révéler plusieurs éléments importants de l'intrigue (mais pas la fin). Ceux qui n'ont pas vu le film et ne veulent pas en savoir plus, n'allez pas plus loin.

Dans Sixième Sens un psychiatre renommé est chargé de suivre un enfant solitaire et renfermé. Il s'avère que le garçon, Cole, est ainsi car il a la capacité de voir les morts. Et ils prennent un malin plaisir à lui faire peur. Aussi étrange qu'elle puisse paraître, le médecin fini par accepter cette idée et il découvre le véritable dessein des fantômes à l'égard de l'enfant : chacun d'entre eux viennent lui demander de l'aide, même s'ils peuvent faire peur (une mort violente, c'est pas forcément tout beau tout propre). La solution est donc toute simple : il suffit de les écouter afin qu'ils puissent partir en paix.

Le psychiatre explique sa théorie à Cole. Le soir même, une nouvelle apparition vient l'épouvanter.

The Sixth sense - Vomi

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Il prend peur au début, comme à son habitude, et s'enfui. Mais il repense aux paroles de son psy et revient sur ses pas pour faire face à la jeune fille, pas si effrayante finalement. Et il lui demande : "Do you wanna tell me something ?" ("Veux-tu me dire quelque chose ?")

Nous ne connaitrons sa réponse que deux scènes plus tard, en voyant ce que Cole fait : elle le charge d'aller chez elle récupérer un coffret contenant une vidéo pour le donner à son père.

The Sixth sense - Don

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The Sixth sense - Cassette coffret

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Durant la convalescence causée par sa maladie mortelle, la jeune fille filmait des spectacles de marionnettes qu'elle faisait seule dans sa chambre. Sur cette cassette, que le père s'empresse de regarder, on peut voir l'un de ces spectacles.

The Sixth sense - TV marionnettes

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Mais cet enregistrement est particulier car sa mère est arrivée pour lui donner son repas et la jeune fille n'a pas éteint pas la caméra. Ce qui nous permet, à nous et à son père, de voir la mère empoisonnant la soupe de sa fille, la désignant alors sans aucun doute comme responsable de sa mort.

The Sixth sense - TV poison

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La défunte demande également au garçon d'offrir une de ses poupées à sa petite sœur pour laquelle elle avait quelques mots de réconfort.

Mais revenons à la scène précédant la vision de la vidéo, la scène qui m'intéresse. Dans celle-ci, Cole, accompagné du psychiatre, va dans la maison de feu la jeune fille. Il y a de nombreuses personnes habillées en noir, l'air triste : c'est la veillée funèbre. Dehors, sur la balançoire, une petite fille. Cole précise qu'il s'agit de la petite sœur de la défunte. Dans la maison, les gens parlent. Ils chuchotent : la petite sœur aussi est en train de mourir de la même maladie ; ils plaignent les parents.

Le jeune garçon et le psychiatre montent à l'étage, sans se faire remarquer. Ils arrivent devant la porte de chambre de la jeune fille.

The Sixth sense - Entrée contre plongée

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Cole est nerveux et hésite. Mais il se lance.

The Sixth sense - Poignée 1

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The Sixth sense - Poignée 2

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Il tourne la poignée très lentement puis ouvre la porte, tout aussi lentement. Je tiens à préciser que la porte ne grince pas : on peut respecter des codes bien définis sans tomber dans le cliché.

The Sixth sense - Entrée expressionniste

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La composante principale du jump shot, c'est la surprise. Mais la surprise est également la composante principale de l'humour. Le spectateur doit être mis en condition pour sursauter face à la surprise et non pas rire.

Ces trois plans établissent un univers particulier en débanalisant un geste simple : ouvrir une porte. Ils sont très expressifs, voire même expressionnistes. La contre-plongée du premier plan, en grand angle qui plus est, le gros plan sur la poignée, toujours en grand angle et enfin l'ombre très nettement projetée ; tous ces éléments donnent une impression d'étrange à ce geste pourtant banal habituellement.

D'autre part, l'ambiance introduit une tension : quelque chose va arriver. La musique, sourde et grave, a perdu tous les relents dramatiques qu'elle avait dans la scène précédente et le temps est comme suspendu (ces plans durent 30 secondes à eux trois).

Les deux plans suivants montrent l'ombre de Cole balayer une étagère de vidéos.

The Sixth sense - Cassettes ombres

Notons au passage que la source de lumière change de place selon les plans : elle est diffuse dans le premier, très clairement derrière Cole dans le deuxième puis ne projette plus son ombre devant lui mais sur sa gauche, sur le mur le long duquel il marche. C'est un effet purement dramatique faisant passer le cinéma avant le réalisme. Dans certains films ça peut être un problème mais ici c'est totalement justifié.

Puis l'ombre est projetée sur une étagère où sont entreposées de petites poupées de porcelaine. La main de l'enfant entre dans le champ pour s'emparer de l'une d'elles.

The Sixth sense - Poupée

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A ce moment-là du film, nous ne le savons pas encore, mais l'ombre de Cole balaye des éléments en rapport avec l'intrigue dans la pièce. D'abord les vidéos, grâce auxquelles la défunte jeune fille pourra révéler les actes de sa mère puis les poupées, dont celle qu'elle veut remettre à sa petite sœur.

Puis nous arrivons au plan qui m'intéresse ici, le fameux jump shot.

Pour la première fois dans cette scène, à l'exception du premier plan, Cole apparaît réellement. Tout le reste du temps, on a vu de lui que son ombre et sa main. Dans cette montée en tension, ce n'est pas anodin. En faisant disparaître ainsi le garçon de l'image, le réalisateur pousse le spectateur à s'identifier d'avantage à lui. Nous sommes tous habitués à voir notre ombre et notre main et en voyant ces éléments à l'écran, nous ne sommes plus spectateur, nous devenons ce garçon. Lorsqu'il réapparait dans ce plan, nous nous sommes un peu plus projetés en lui. Nous pouvons avoir peur comme lui.

Notons également que l'étagère des vidéos a disparu et que celle entreposant les poupées n'est pas placée correctement pour que le geste de Cole soit cohérent lorsqu'il a prend le jouet.

Peut-être est-ce dû à un manque de budget et/ou de temps (ayant empêché le réalisateur d'agencer la pièce comme il l'aurait voulu) ou à une idée qui n'est arrivée que lors du montage. Toujours est-il que nous n'y faisons pas attention car les marionnettes au premier plan cachent une bonne partie du mur. D'autant plus que ces marionnettes se balancent très légèrement. Toute notre attention est attirée vers elles.

Et c'est aussi ce qui fait l'originalité de ce jump shot. Ils fonctionnent pour la plupart sur un mécanisme paradoxal : certes ils surprennent mais plusieurs secondes avant, chacun s'attend à être surpris. En effet, comme je l'ai dit plus haut, un film de genre utilise des codes bien précis et lorsqu'une ambiance comme celle-ci est installée, ça se termine forcément par un jump shot.

Tout le jeu consiste donc à surprendre le spectateur avec ce qu'il attend.

Ici, la musique, dissonante, monte crescendo. C'est le signal. Dans très peu de temps nous allons être surpris, c'est certain.

Les marionnettes se balancent au premier plan. Cole se tourne vers elle.

The Sixth sense - Marionnettes
The Sixth sense - Marionnettes

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La musique se fait de plus en plus insistante. Cole fait des pas très lent en direction des marionnettes. La musique se fait de plus en plus forte. C'est sûr, quelque chose va surgir de…

Soudain, un simple bras sort finalement du lit pour agripper la jambe de Cole.

The Sixth sense - Marionnettes

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The Sixth sense - Marionnettes

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Quelques centièmes de secondes plus tard, un coup de percussion, d'un volume raisonnable, soutient l'image. Pas besoin de nous éclater les tympans, ceux qui n'auront pas sursauté auront au moins été surpris de voir le bras sortir du lit et non de derrière les marionnettes.

D'autre part, ce jump shot n'est pas insistant. Ce n'est pas un gros plan sur une image d'horreur accompagnée d'une musique assourdissante. De cette manière, ceux n'ayant pas été surpris pourront prendre ce plan comme ce qu'il est (aussi) : un plan exposant la passion de la défunte pour les marionnettes et faisant avancer l'intrigue. Car le bras agrippant Cole n'est pas un simple et vain effet pour faire sursauter les âmes sensibles mais le bras de la jeune morte ayant une véritable raison d'être là et d'agir ainsi.

The Sixth sense - Défunte

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Elle ne s'était pas accrochée au garçon pour lui faire peur mais pour lui donner le coffret qu'elle souhaitait faire parvenir à son père.

The Sixth sense - Coffret

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Le but principal de ce plan était d'abord de faire passer une information et de faire avancer l'intrigue. Accessoirement, comme nous sommes dans un film d'épouvante, pourquoi ne pas rendre la scène plus attrayante en faisant de ce plan un jump shot ?

Il fallait montrer la scène de toute façon.

Et un film d'épouvante sans jump shot n'est plus vraiment un film d'épouvante, quelque soit sa qualité.

Alors autant faire d'une pierre deux coups !

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